André Robillard, en compagnie
Aujourd’hui, à 89 ans, s’il est devenu un artiste internationalement reconnu, André Robillard demeure toujours à l’Hôpital, où il est entré à l’âge de huit ans, en 1939, et a vécu depuis, témoin de toute l’histoire de la psychiatrie en France.
Lors d’un voyage d’André à l’Hôpital de Saint-Alban, en Lozère, pour présenter une création théâtrale à laquelle il participe, tout se relie enfin : l'Art Brut, la psychiatrie, la Résistance. L'histoire d'André Robillard croise en effet celle de la Psychothérapie Institutionnelle, véritable révolution du regard sur la folie, opérée au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Robillard incarne ainsi une forme de résistance — à la brutalité politique et psychiatrique autant qu'à l'art académique et, plus largement, à ce que Dubuffet appelait "l'asphyxiante culture". On sait gré à Imbert de nous le faire rencontrer si amicalement.
Marcos Uzal, Libération, 14 novembre 2018
UNE TRILOGIE DOCUMENTAIRE
de Henri-François Imbert
André Robillard, à coup de fusils ! (1993)
André Robillard, en chemin (2013)
André Robillard, en compagnie (2018)
Le temps de la rencontre, enjeu essentiel du film d'art, s'étend ici sur trois temps au fil d'une vie, d'une amitié. Cela ouvre des perspectives de réflexion : Quel rapport au temps a un réalisateur face à son sujet ? Le portrait d'un artiste est-il aussi le portrait d'un homme ?
Rencontres du film d'Art, Saint-Gaudens, 2016
NOTE DU CINÉASTE
Lorsque j'ai commencé, il y a presque 30 ans, ce travail composé aujourd'hui de trois films, André Robillard n'était pas encore le grand classique de l'Art Brut qu'il est devenu. Ma caméra était l'une des toutes premières à croiser la route d'André, et je crois que d'une certaine façon, ce premier film a conforté son sentiment d'être un artiste. Je n'avais pas même abordé la thématique de l'hôpital dans ce premier film, comprenant que ce qui était important pour André, c'était d'être reconnu comme artiste et surtout pas comme patient.
Puis nous avons fait un deuxième film, 20 ans plus tard, pour lequel André m'a entraîné dans une exploration de l'hôpital, son univers depuis toujours. Et comme André s'était lancé dans l'incroyable aventure d'une création théâtrale, à 80 ans, nous avons fait un troisième film, pour lequel je l'ai suivi dans ses voyages pour ce spectacle, en plus de ses expositions. Une tournée qui nous a conduit notamment à l'hôpital de Saint-Alban, en Lozère, où a eu lieu l'invention de la Psychothérapie Institutionnelle, dont toute l'histoire d'André à l'hôpital est une sorte d'aboutissement.
Les trois films, réalisés sur 25 ans, peuvent se voir comme un ensemble, mais ils sont aussi indépendants, en ce sens qu'ils proposent chacun un récit, autonome et singulier. Si le premier film présentait l'artiste et son œuvre, tandis que le deuxième revenait sur son passé et sa vie à l'hôpital, le troisième film permet d'envisager comment tout cela a été possible : Comment un homme dans une situation d'abandon et d'enfermement, a pu non seulement se mettre à créer, mais y être encouragé ; comment aussi des médecins ont pu découvrir ce travail et favoriser sa reconnaissance dans le champ de l'Art Brut, en le communiquant dès sa découverte à Jean Dubuffet. Toutes ces questions résonnent bien sûr avec notre présent et le devenir de la psychiatrie à l'hôpital aujourd'hui.
Avec ce troisième film, j'achève, provisoirement peut-être, 25 ans de travail avec André Robillard ; un compagnonnage cinématographique au long cours, autour de l'Art Brut et de l'histoire de la psychiatrie.
Henri-François Imbert
Dans ce nouveau film avec André Robillard, vous avez choisi d’aborder son histoire, en évoquant notamment la Psychothérapie Institutionnelle, sujet que vous n’aviez pas abordé précédemment. Pourquoi à ce moment-là ?
En 2012, le metteur en scène Alexis Forestier et André Robillard ont été invités à jouer leur spectacle à l’hôpital de Saint-Alban. Je suis allé les filmer et je me suis rendu compte que ce film nous amenait à l’histoire de la Psychothérapie Institutionnelle.
Étiez-vous attiré par l’histoire de Saint-Alban ?
Oui, j’étais déjà allé deux fois à Saint-Alban, c’est un lieu qui m’attirait depuis longtemps, à la fois pour l’histoire de la Psychothérapie Institutionnelle et pour celle de la Résistance. Les deux histoires se recoupent en fait. Les psychiatres qui ont créé la Psychothérapie Institutionnelle, autour de François Tosquelles, ont accueilli des résistants à Saint-Alban pendant la guerre. Les deux postures se rejoignent, la posture humaniste qui dit qu’un fou est un homme et la posture de résis- tance qui dit qu’un homme doit vivre libre.
Le créateur d’Art Brut Auguste Forestier, qui est l’ar- tiste préféré d’André, a vécu là-bas. J’avais commencé un film sur lui en 1993, jamais abouti, dans lequel André visitait l’exposition Forestier organisée par L’Aracine. Vingt ans plus tard, nous étions sur place à Saint-Alban, là où il avait vécu, et d’une certaine façon, nous faisons ce film sur Forestier que je n’avais pas réussi à faire à l’époque, à l’intérieur de ce nouveau film sur André.
C’est votre troisième film sur André Robillard, mais le pre- mier pour le cinéma.
Oui, il fallait raconter l’histoire d’André et me situer dans cette histoire. Partir des liens un peu magiques, les coïncidences, les aléas, des choses très ténues qui tout à coup font sens,même si ce sens est fragile, comme de retrouver la piste de Roger Gentis en me promenant à Saint-Alban, alors qu’il est pour moi le médecin d’André à Fleury-les-Aubrais. Je ne peux éclairer ce genre de liens que par une narration en voix off, un récit à la première personne. Il y a aussi Alexis Forestier, qui nous emmène en voyage avec son spectacle.
Malgré la densité narrative du film, vous arrivez à lui in- suffler une forme de légèreté.
Oui, il faut faire avec les limites du cinéma, la durée du film, la complexité des informations et l’idée de raconter une histoire. J’essaie d’amener les choses de manière poétique, par des liens avec les personnages ou les faits. Je tente de trouver un rythme cohérent avec mon travail, un travail au long cours, qui prend le temps de chercher la forme qui convient au film. C’est un travail artisanal aussi, dans un espace de liberté qui ne dépend que du projet lui-même, de la relation avec mes personnages et de notre désir commun pour le film que l’on fait ensemble.
En dehors de l’historien de l’art Michel Thévoz, qui accueille André pour le vernissage de son exposition à la Collection de l’Art Brut de Lausanne, le film ne contient aucun commentaire d’experts.
Michel Thévoz a présenté les premiers fusils d’André dès l’ouverture de la Collection de l’Art Brut à Lau- sanne en 1976. C’est un personnage historique de la vie d’André, ce n’est pas juste un connaisseur: il lui a permis de renaître. Cela parle aussi de mon travail, dans une sorte de couche souterraine du récit. J’y pense maintenant, mais le film est encadré par ces deux personnages: au début, Madeleine Lommel, de l’association L’Aracine, qui m’a proposé d’aller filmer André Robillard, en 1993; et à la fin, Michel Thévoz, qui m’a accueilli avec ce premier film sur André. C’est un hommage. Ils sont pour moi comme des repères.
Entretien réalisé par Quentin Mével,
extrait du livre Henri-François Imbert, libre cours,
André Robillard, en compagnie dans la presse
A travers une figure majeure de l’art brut, le documentariste Henri-François Imbert esquisse aussi une histoire de la psychiatrie en France depuis 1939.