Piet Moget, un matin
Et la lumière fut
(à propos de Piet Moget, un matin d’Henri-François Imbert)
Un matin, deux séquences encadrées du même plan de paysage, une douzaine de plans, et pour une fois pas de voix-off, c’est tout ce dont a besoin Henri-François Imbert pour transmettre une trace cinématographique de sa rencontre – étalée dans le temps – avec le peintre Piet Moget. Si ce minimalisme tranche avec les enquêtes au long cours soigneusement restituées et mêlées à des données autobiographiques des films précédents, il trouve vite sa pleine justification dans une volonté de saisir le peintre dans les deux gestes fondamentaux (pour ne pas dire vitaux) que sont pour lui la création personnelle et l’exposition des œuvres des autres. Que cela se joue dans un tout petit périmètre de l’Aude, délimité par la poignée de kilomètres séparant Port-La-Nouvelle (où se situe son atelier) de Sigean (où se situe le Lieu d’Art Contemporain), n’est pas sans incidence sur la dramaturgie du film.
La création est d’abord une affaire d’osmose entre une main, un pinceau, une palette et ses couleurs, une toile. C’est ce que restitue le premier plan d’atelier en suivant le geste de la main. Mais très vite c’est le mouvement du haut du corps du peintre qui est saisi. La nuque et les épaules se contorsionnent, le visage apparaît une première fois au détour d’un regard hors-champ, source d’inspiration inépuisable où Moget puise la lumière, celle du plan de littoral ouvrant le film, paysage fait de hautes herbes marécageuses, d’un soupçon de mer, et surtout de ciel. À ce court temps de l’action succède un temps plus long, non pas de passivité ou d’inaction mais de recul. Recul du cinéaste tout d’abord qui passe de plans serrés à des plans sensiblement plus larges montrant une bonne partie de l’atelier. Recul du peintre ensuite sur ce qu’il vient d’exécuter. Car une toile ça sèche et c’est ce temps-là qui semble ici privilégié. Moget lit un journal et Imbert l’interrompt en lui demandant s’il a toujours acheté des peintures. Le recul, d’abord spatial, devient alors temporel, Moget profitant de l’occasion pour raconter l’histoire de son professeur et maître aux Beaux-arts de La Haye, Paul Citroën, lequel l’incita aussi à acheter des œuvres chez les brocanteurs. Plus loin il évoque le mouvement Zéro dont il possède quelques toiles. Pourtant, le film ne cède jamais ni à la théorie ni à l’histoire de l’art. Imbert ne cherche pas à informer sur Piet Moget, à restituer sa vie et son œuvre. Plein d’humilité il est là pour recueillir ce que le peintre veut bien lui montrer et lui dire sur un laps de temps très court, sans jamais le forcer, le freinant presque, ne craignant pas le silence ni le son des mouches venant le rompre. L’observer disposer ses toiles au séchage suffit amplement pour dire ce qui le rattache à elles, pour saisir le passage d’une lumière (le paysage) à l’autre (la toile), d’un regard (hors-champ) à l’autre (sur la toile).
L’exposition est aussi une question d’osmose, celle entre les œuvres disposées dans la grande salle du LAC. « Avec Layla on a essayé de créer un dialogue entre les choses, je pense que ça fonctionne » dit Moget. La séquence au LAC, plus courte, n’a d’autre objectif que de restituer ce dialogue grâce à quelques mouvements de caméra passant d’une œuvre à l’autre, sans oublier Moget avide de commentaires sur leur origine et leur auteur. Ses yeux pétillent, son enthousiasme est débordant et il tente de le partager avec Imbert quand il lui dit « Je trouve ça d’une force terrible, tu ne trouves pas ? ». Si le cinéaste reste muet (à moins que la réponse ait disparu du montage, mais cela revient au même, ne regarde pas le spectateur) il ne faut voir aucun affront ni aucune impolitesse dans cette attitude mais plutôt la manifestation d’une profonde décence, d’un tact cinématographique. Si son avis importe peu c’est tout simplement que celui de Moget n’appelle ni approbation ni opposition dans un film fuyant précisément toute dialectique.
Dans l’avant-dernier plan du film Moget referme la lourde porte du LAC comme on referme la porte de sa maison. Le vent souffle fort, il se retourne et, tout en jetant un regard hors-champ, s’exclame : « Quelle lumière, hein ! ». Je crois que tout le film tient dans cette exclamation, sa concision, son minimalisme, sa modestie, son dispositif… Surtout, elle dit bien l’insatiabilité d’un homme, d’un artiste, littéralement nourri de lumière.
Antony Fiant