i.m.D

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Un fleuve sans rive opposée et des rues de sable rouge. Trois vues d'une métropole africaine, dans le flou du lointain. Les trois écrans tournent en boucle, mais ces cycles ne sont pas synchronisés. Une pirogue traverse lentement le fleuve et l'écran central. Un rameur debout à la proue et un autre derrière.


Le dernier film de Henri-François Imbert se terminait à Sangatte, dont la plage énigmatique rythmait ce documentaire sur les camps de réfugiés de la Guerre d'Espagne, mené par cartes postales interposées. Lorsque nous lui avons demandé de participer à une exposition sur le thème des migrations dans le port de Dieppe, il a choisi de repartir de l'univers d'un film précédent, tourné au Mali. Que voit-on ? Une ville d'Afrique d'aujourd'hui. Une de ces villes dont les habitants ne nous deviennent visibles que lorsqu'ils émigrent. Ou un paysage que le cinéaste peut regarder pour lui-même parce qu'il entretient des rapports personnels avec de nombreux habitants, débarrassé du fardeau colonial ? Une Afrique habitée, quotidienne, tout simplement. Hypnotique, car jamais vue.
Le regard cinématographique peut abolir les frontières entre documentaire et fiction. Encore plus lorsqu'il documente des traversées, des passages de frontières, des reconquêtes d'identité. Les films de Henri-François Imbert ouvrent une nouvelle dimension pour ces passages de gué : ils ne sont plus seulement des odyssées spatiales, mais aussi des explorations dans le temps. Comme pour retrouver un accès plus profond et intense au présent. Chaque exploration procède d'une relation personnelle à un passé biographique : retrouver le propriétaire de sa première caméra, retrouver un personnage mythique de son enfance ou interpréter des traces laissées par son grand-père. Le regard accepte alors de se déprendre de lui-même puisqu'il retourne au-delà de ses propres capacités de mémoire, et se laisse guider par une logique d'enquête accidentelle : parfois même ce sont des images tournées par d'autres. Pour retrouver sa route, il faut parcourir le passé, ce qui veut souvent dire partir ailleurs, pour vérifier, parcourir des hypothèses.
Ces films de cinéma sont hantés. Par des morts. Ce tryptique aussi. Retourné à Bamako pour la première projection de « Doulaye une saison des pluies » en présence de son personnage principal, Henri-François Imbert a tourné ces images depuis une fenêtre. Un portrait paysagé traversé par un oracle, sur sa pirogue. S'il n'y a pas d'autre rive, c'est que nul vivant ne peut la voir, pas même en zoomant. Doulaye décède 15 jours après le tournage de ces images où il ne figure pas, ou presque.
En retrouvant ces rushes jamais regardés depuis, cette installation rend hommage au vieux chasseur de lion, une pulsation de réel qui nous parvient, de l'autre côté de la frontière.

Marc Armengaud